vendredi 9 février 2018

LEPREUX PAR AMOUR

SIXIÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE

ANNÉE B

(Mc 1, 40-45)


La lèpre fut longtemps incurable et très mutilante, entraînant en 1909, à la demande de la Société de pathologie exotique, « l'exclusion systématique des lépreux » et leur regroupement dans des léproseries comme mesure essentielle de prophylaxie

La maladie est aujourd'hui traitable par antibiotiques ; des efforts de santé publique sont faits pour le traitement des malades, l'équipement en prothèses des sujets guéris, et la prévention.

Au temps de Jésus, et avant Lui, (et longtemps encore après) la situation du lépreux était particulièrement compliquée, c'est ce que rapporte le passage du Livre des Lévites que nous avons en première lecture :

« Quand un homme aura sur la peau une tumeur, une inflammation ou une pustule,
qui soit une tache de lèpre,on l’amènera au prêtre Aaron ou à l’un des prêtres ses fils.Le lépreux atteint d’une tache portera des vêtements déchirés et les cheveux en désordre, il se couvrira le haut du visage jusqu’aux lèvres, et il criera : “Impur ! Impur !”Tant qu’il gardera cette tache, il sera vraiment impur. C’est pourquoi il habitera à l’écart,son habitation sera hors du camp. »

 Dimanche dernier, en quittant Capharnaüm, Jésus décide « d'aller ailleurs, dans les villages voisins afin d'y proclamer l’Évangile, et Il précise, c'est pour cela que je suis sorti. »Et il parcourut toute la Galilée, proclamant l’Évangile dans leurs synagogues, et expulsant les démons. » C'est dans ce contexte, qu'un lépreux ose L'aborder . Compte tenu de la loi , n'est-il pas choquant, que ce lépreux se permette un tel écart et que Jésus , en bon Juif, ne fasse rien pour l'éloigner ?

En ce temps-là,un lépreux vint auprès de Jésus ; il le supplia et, tombant à ses genoux, Comment ce malade, rejeté par sa communauté, a-t-il réussi ce tour de force ? Il est surprenant qu'il ait trompé la vigilance de l'entourage de Jésus , quoiqu'il en soit, il est là, et, de plus, sans doute prosterné, puisqu'il tombe aux genoux de Jésus. Geste d'adoration qui en dit long , sans qu'il l'exprime, sur la considération qu'il porte à Jésus ! Devant semblable attitude nous ne pouvons pas douter de l'intensité de son attente et encore moins de la densité de sa confiance. Il fait partie de ceux qui ont entendu parler des actes de Jésus et il n'a pas hésité à déjouer « Sa protection rapprochée » pour L'approcher et exprimer sa requête.

Il lui dit :« Si tu le veux, tu peux me purifier. » Cet homme manifeste qu'il a une certaine conscience de la capacité de Jésus à soulager l'humanité , de ses maux et infirmités. Il croit vraiment que Jésus peut le purifier . La loi pourrait encourager Jésus à éloigner cet homme , il fait en effet parti des hors-la-loi, des exclus , interdits de séjour, relégués à la périphérie , au contraire, Jésus est touché par sa confiance et sans doute, son audace :
Saisi de compassion, Jésus étendit la main,le toucha et lui dit :« Je le veux, sois purifié. » Non seulement Jésus l'accueille, mais il va jusqu'à le toucher et , au geste, Jésus joint la parole et l'action de guérison : Je le veux, sois purifié . Jésus est un homme libre, rien ne peut arrêter Sa volonté de faire le bien ! Ce lépreux, participe, par anticipation, à la liberté de Jésus , les deux ont en effet franchi les limites imposées par la loi , les deux sont dans un autre registre : celui de la foi, celui de la confiance pour le lépreux, celui de l'amour inconditionnel pour Jésus qui ne fait pas de différences entre les humains! N'est-ce pas ce qui se passe dans les sacrements et plus particulièrement ceux du baptême et de la Réconciliation ? 
 
Je ne peux m'empêcher de penser à ce cultivateur qui a accepté une condamnation pour avoir accueilli un réfugié clandestin et pour rester fidèle à sa conception de l'hospitalité. Bien sûr, il faut raison garder, mais en tant que disciples de Jésus ne sommes-nous pas invités à repousser les limites du bienséant, du bien - pensant , de toutes sortes de conformismes ? 
 
Je pense aussi au Père Damien, l'apôtre des lépreux devenu missionnaire sur une île perdue du Pacifique, il a vécu avec les lépreux. Dans cet enfer de désespoir et de misère morale, il a réussi à façonner une communauté fraternelle . Il a été canonisé le 11 octobre 2009. 
 
Écoutons également la parole tonifiante du Pape François !
Le Pape n'en finit plus de surprendre. Il annonçait, le 30 septembre, sa décision de faire du G8, le groupe des huit cardinaux chargé de plancher sur la réforme de la curie romaine qui s'est réuni pour la première fois mardi 1er octobre, un conseil permanent. Le même jour, il donnait une interview dé-coiffante au quotidien italien La Repubblica, où il fustigeait le
cléricalisme et le « vaticano-centrisme » de la Curie. Il appelait aussi l’Église à « s'ouvrir à la modernité », estimant que le prosélytisme est « une bêtise magistrale », dans la mesure où l'essentiel est de « se connaître et de s’écouter, et de faire connaître le monde qui nous entoure ».

« Les dirigeants de l'Église ont souvent été des narcisses, flattés et excités de manière négative par leurs courtisans. La Cour est la lèpre de la papauté, a affirmé le Pape. Dans la Curie il y a des courtisans , mais la Curie dans son ensemble est autre chose qu'une cour. (…) Mais elle a un défaut : elle est centrée sur le Vatican. Elle observe et s'occupe des intérêts du Vatican, qui sont encore, pour une grande partie, des intérêts temporels. Ce point de vue « vaticano-centré » néglige le monde autour de nous. Je ne partage pas ce point de vue et je ferai tout pour le modifier. L’Église est ou doit redevenir une communauté du peuple et des prêtres, des pasteurs de Dieu, des évêques ayant le soin des âmes.

De son côté, Monseigneur Rouet écrivait voilà quelques années :Les anciens ignoraient l’origine de cette maladie ( la lèpre) et les traitements afférents. Notre temps est plus savant et mieux armé. Il n’empêche : voici cette femme que son mari a abandonnée quand il a appris qu’elle avait un cancer. Sans parler du Sida qualifié de « lèpre moderne », bien des maladies provoquent des peurs irrationnelles qui conduisent à l’isolement. on n’affuble plus les malades d’habits spéciaux pour lépreux, mais on les couvre de silence et de solitude.Il est encore des maladies qu’on tait. Sans parole, comment nourrir l’échange entre humains ? La technique qui soigne ne remplace pas la parole qui guérit en replaçant dans le dialogue social.

La « peau» de notre société est malade. Celle-ci rejette à l’extérieur de son corps ceux par qui elle craint sa dissolution : les étrangers bien sûr (les lépreux étaient interdits de voyager) et tous ceux qui ne lui sont pas directement utiles. Car notre société se construit autour du rendement rapide, de l’adaptation accélérée.

Quant à nous, acceptons-nous de prendre des risques, pour porter secours à ceux qui sont différents ? Acceptons-nous d'être montrés du doigt ? Parfois critiqués en prenant le parti du faible, du pauvre, du rejeté ? Un employé est mis au ban, nombreux sont ceux qui prennent le parti des apparemment plus forts ; une jeune femme, au nom de sa foi, mais aussi au nom de son humanisme, accepte de se démarquer, elle lui garde sa confiance, son respect, elle le soutient moralement et ne craint pas les représailles ! (Cette situation m'a été confiée cette semaine !) 
 
Qu'est ce que je fais pour les lépreux d'aujourd'hui ?
Dans notre évangile, Jésus touche le malade et À l’instant même, la lèpre le quitta et il fut purifié. Avec Jésus, Parole et geste sont porteurs de vie. Partout où passe Jésus, la vie jaillit ! Avec la vie naissent la joie, l'apaisement et, en même temps la responsabilité ! J'ai le devoir d'entretenir le cadeau de la vie : la santé est un bien précieux que je ne dois pas gaspiller . Est-ce que je sais rendre grâce pour ce don spécifique ? Est-ce que je prends les moyens de l'entretenir ou bien je le dilapide dans des excès de toutes sortes : alcool, drogue, abus de médicaments, veilles excessives !

Et quand le lépreux se trouve guéri, que lui dit Jésus ?
Avec fermeté, Jésus le renvoya aussitôt en lui disant :« Attention, ne dis rien à personne,mais va te montrer au prêtre,et donne pour ta purification ce que Moïse a prescrit dans la Loi :cela sera pour les gens un témoignage. » En bon Juif, et certainement pour détourner l'attention de Sa propre personne, Jésus applique ici ce qui est demandé dans la loi de Moïse :
" Voici quelle sera la loi concernant le lépreux, pour le jour de sa purification. On l'amènera au prêtre, et le prêtre, étant sorti du camp, l'examinera. Si le lépreux est guéri de la plaie de lèpre, le prêtre ordonnera que l'on prenne pour celui qui doit être purifié deux oiseaux vivants et purs, du bois de cèdre, du cramoisi et de l'hysope. Le prêtre fera égorger l'un des oiseaux au-dessus d'un vase de terre, sur de l'eau vive. Puis, ayant pris l'oiseau vivant, le bois de cèdre, le cramoisi et l'hysope, il les trempera, ainsi que l'oiseau vivant, dans le sang de l'oiseau égorgé sur l'eau vive. Il en aspergera sept fois celui qui doit être purifié de la lèpre, il le déclarera pur et lâchera dans les champs l'oiseau vivant. Celui qui se purifie lavera ses vêtements, rasera tout son poil et se baignera dans l'eau; et il sera pur. Ensuite il pourra entrer dans le camp, mais il restera sept jours hors de sa tente. … Le prêtre qui fait la purification présentera l'homme qui se purifie et toutes ces choses devant le Seigneur, à l'entrée de la tente de réunion. Lév 14

L'important pour Jésus, est de permettre à cet homme de retrouver officiellement sa place dans le Temple et dans la société . Il pourra rejoindre Jésus s'il le souhaite mais il doit faire reconnaître sa guérison par ceux qui détiennent l'autorité, ils l'avaient exclu au temps de la maladie, c'est à eux de le réintégrer, de lui redonner sa place dans sa communauté d'appartenance.

Cette guérison, que l'on peut targuer de spectaculaire, s'inscrit dans le combat de Jésus pour effacer toutes les différences, pour inviter l'humanité à la fraternité universelle, en faisant tomber les barrières dressées par nos égoïsmes, c'est sans doute l'aspect le plus puissant de la Bonne Nouvelle de l’Évangile. Dieu nous veut heureux, Dieu, disions-nous la semaine dernière en citant St Irénée, « nous veut debout » ! C'est Sa joie, Son bonheur Sa gloire. Jésus ne dit-t-il pas :
Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle. (Jean 3)
Comme le Père a la vie en lui-même, ainsi a-t-il donné au Fils d'avoir la vie en lui-même (Jean 5)
Car c'est la volonté de mon Père qui m'a envoyé, que quiconque voit le Fils et croit en lui, ait la vie éternelle; et moi je le ressusciterai au dernier jour." (Jean 6)
C'est l'esprit qui fait vivre, la chair n'est capable de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie. (Jean 6)

Entre les Actes des Apôtres et les évangiles, la Vie est citée 104 fois ! Ce lépreux, après des années de souffrance, de malédictions de toutes sortes, recouvre la santé, recouvre la Vie, et Jésus lui demande la discrétion ! Mais il éclate de vie, de bonheur, de joie, comment retiendrait-il sa langue , même en faisant un effort pour taire la merveille, celle-
ci, parle d'elle-même, il suffit de le regarder, de voir le changement opéré ! Hier exclus, rejeté, défiguré, écrasé, ignoré, éloigné, forçant les gens à changer de trottoir, à se détourner, à prendre un autre chemin ( qui n'a jamais fait cela pour éviter un gêneur, un bavard, un « pestiféré …,) aujourd'hui, même sans le dire, la vie éclate en lui, elle s'impose, elle déroute même, alors :

Une fois parti,cet homme se mit à proclamer et à répandre la nouvelle,de sorte que Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville,mais restait à l’écart, dans des endroits déserts. De partout cependant on venait à lui.

Non seulement cet homme est guéri de ce qui faisait sa honte, son malheur, mais il est PURIFIE, lavé, il redevient, aux yeux de tous, l'ami de Dieu . Dieu l'a toujours considéré comme tel, mais pas les hommes, car ce sont les hommes qui dressaient des barrières infranchissables, il était banni ! Comment ne laisserait-il pas éclater sa joie ?

Pourquoi, Jésus lui demande t-Il de se taire ? Jésus sait très bien que semblable changement, sans être dit, saute aux yeux ! Je vois deux raisons à cela, il y en a bien d'autres sûrement !

Nous avons vu Jésus , envahi, pressé par la foule dans la maison de Pierre, une foule avide de Le toucher, et d'être touchée, une foule, même si sa quête est plus de « gourmandise » que de foi , en attente , assoiffée d'une vie meilleure, une foule qui a découvert son Sauveur, Celui qui guérit, libère, ouvre un horizon nouveau, une ère nouvelle. Mais Jésus ne veut pas se laisser enfermer « Allons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame l’Évangile ; car c’est pour cela que je suis sorti. » Jésus dit clairement son intention d'annoncer largement la Bonne Nouvelle du Salut et cela ne fait pas que des heureux, nous le savons et ne tarderons pas à le constater . Ce serait la deuxième raison du silence demandé au lépreux. Si Jésus fait des heureux, si les gens cherchent à Le toucher, s'ils courent après lui, d'autres s'insurgent et polémiquent .Les scribes et les pharisiens se mirent à penser 
 
« Quel est cet homme qui dit des blasphèmes ? (Luc 5) »

« les pharisiens disaient aux disciples : « Pourquoi votre maître mange-t-il avec les publicains et les pécheurs ? » (Matthieu 9)

Les jugements de toutes sortes fusent, Jésus est épié. Les controverses n'ont pas tardé On peut dire qu'en naissant, en arrivant sur la terre des hommes, Jésus est déjà un gêneur, Hérode n'a t-il pas peur d'être supplanté ? Jésus veut se donner le temps de former Ses apôtres de conduire le groupe à maturité Il souhaite donc une certaine discrétion pour éviter les dérapages, son heure, n'est pas encore venue. C'est je pense la raison essentielle de l'impossible silence demandé.

« Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville,mais restait à l’écart, dans des endroits déserts. De partout cependant on venait à lui » Pouvons-nous oser penser et croire que Jésus devient à son tour le lépreux qui «  n'avait ni forme ni beauté pour attirer nos regards, ni apparence pour exciter notre amour. Il était méprise et abandonné des hommes, homme de douleurs et familier de la souffrance, comme un objet devant lequel on se voile la face; en butte au mépris, nous n'en faisions aucun cas. Vraiment c'était nos maladies qu'il portait, et nos douleurs dont il s'était chargé; .. Mais lui, il a été transpercé à cause de nos péchés, broyé à cause de nos iniquités; le châtiment qui nous donne la paix a été sur lui, et c'est par ses meurtrissures que nous sommes guéris. Nous étions tous errants comme des brebis, chacun de nous suivait sa propre voie; et le Seigneur a fait retomber sur lui l'iniquité de nous tous. Is 53

Oui, Jésus s'est fait lépreux pour nous donner la Vie ! Jésus est venu pour que l'homme ait la vie et la vie en abondance ? Il prend sur Lui notre déchéance pour nous élever à la dignité de fils, à la Vie de Dieu ! En revêtant notre chair, Jésus s'est chargé de notre péché, Il s'est fait lépreux pour nous ! Voilà jusqu'où conduit l' AMOUR inconditionnel d'un Dieu qui se fait homme !
Je suis venu pour la vie
Je suis venu pour la vie
Je suis venu pour la vie éternelle.

O Père sois béni,
De cacher ce mystère aux puissants,
De révéler aux petits,
L'incroyable amour de ton cœur de Père.

Ne soyez un obstacle pour personne,
ni pour les Juifs, ni pour les païens,
ni pour l’Église de Dieu.
Ainsi, moi-même, en toute circonstance,
je tâche de m’adapter à tout le monde,

 sans chercher mon intérêt personnel,
mais celui de la multitude des hommes,

pour qu’ils soient sauvés.
Imitez-moi,
comme moi aussi j’imite le Christ.
1 Co. 10


L'Ermite

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