XXIX
e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
ANNÉE B
Mc
10, 35-45)
« Saint Marc n’a rien
caché des ambitions et des querelles au sein du groupe des Douze et
des malentendus entre eux et Jésus. Ce qui d’ailleurs plaide en
faveur du caractère authentique de son Évangile, et en faveur
de l’humilité des apôtres, puisqu’ils n’ont pas censuré les
passages où ils donnaient d’eux-mêmes une image peu glorieuse. Il
leur a fallu beaucoup de temps pour découvrir qui était Jésus et
pour accepter de le suivre sur les chemins de sa mission de
Messie-Serviteur et non pas se servir de lui dans leur campagne
électorale, et l’amener à se soumettre à leurs projets. Ils ont
l’honnêteté de montrer en quoi ils ont manqué de courage, de
lucidité, et comment ils se sont trompés au sujet de leur maître
et même parfois l’ont abandonné ou trahi.
A l’occasion du Concile
Vatican II, après des siècles de chrétienté, l’Église a
reconnu que sa mission universelle reçue du Christ a pu la conduire
au cours des siècles à des pratiques parfois violentes de pression
sur les consciences, de domination culturelle, d’obligation de
rites et de rubriques pour tous, de gouvernance dictatoriale. Dans
leurs manières de vivre et de célébrer ensemble, les communautés
chrétiennes de tous temps, elles aussi, n’ont pas été et ne sont
pas encore exemptes de rivalités, de recherches de pouvoir et de
grandeur semblables à celles que manifestent Jacques et Jean dans
l’Évangile de Marc. Tout cela nous invite à nous laisser
remettre en cause à chaque instant par l’Évangile que nous
proclamons, car nous ne sommes pas meilleurs que nos Pères. La
réponse de Jésus à la demande des deux apôtres nous interpelle
encore aujourd’hui P. M. Scouarnec »
En
ce temps-là, Jacques et Jean, les fils de Zébédée, s’approchent
de Jésus et lui disent :« Maître, ce que nous
allons te demander, nous voudrions que tu le fasses pour nous. »
En
accueillant ce verset, je suis reportée bien des années en arrière,
quand, tout enfant, je souhaitais obtenir quelque chose de maman, et
qu'il me semblait que « ce n'était pas gagné »! Nos
deux apôtres, ne sont-ils pas puérils en présentant de la sorte
leur requête au Maître ? Voilà une façon bien
enfantine de se comporter qui, chez des adultes, s'apparente à de
la manipulation.
A
nous de faire très attention à la façon dont nous exposons nos
désirs, veillons à respecter la liberté de nos interlocuteurs,
c'est à eux de juger, et à eux seuls de l'opportunité de répondre
positivement ou non à nos requêtes! Jésus n'est pas dupe, Il ne
s'engage pas sans connaître de quoi il s'agit.
Il
leur dit :« Que voulez-vous que je fasse pour vous ? »
Avant de s'engager Jésus invite Ses deux
disciples à préciser leur attente . Jésus, n'est pas pour rien la
Sagesse éternelle du Père ! Quant aux fils de Zébédée,
« ils persistent et signent », dirions-nous aujourd'hui.
Ils aiment Jésus, ils apprécient Son enseignement, Sa proximité au
quotidien et souhaitent vivre de ce bonheur pour l'éternité.
Avouons que semblable demande, si elle révèle une certaine naïveté,
voire de l'ambition, n'est pas dépourvue de bons sentiments, seule,
la précision « de la place de choix revendiquée », nous
permet de tiquer !
Ils
lui répondirent :« Donne-nous de siéger,l’un à ta
droite et l’autre à ta gauche,dans ta gloire. » Sous
entendu, là nous serons bien ! Peut-être voient-ils la
glorification de Jésus comme le développement de Son passage sur
terre ! Ce qui est partiellement vrai,. Jacques et Jean ne
tarderont pas à l'apprendre : la Gloire est l'épanouissement
d'une vie donnée, où Lui, Jésus, accomplit avec minutie la volonté
du Père et cela jusqu'à l'extrême de L'amour , jusqu'au don
extrême de sa vie sur l'ignominie de la croix, ils ne vont pas
tarder à le découvrir.
Jésus
leur dit :« Vous ne savez pas ce que vous
demandez.Pouvez-vous
boire la coupe que je vais boire,être baptisés du baptême dans
lequel je vais être plongé ? »
Comprennent-ils la
profondeur de la question de Jésus ? Comprennent-ils que le
disciple n'est pas plus grand que son Maître «
Rappelez-vous la parole que je vous ai dite : Le serviteur n'est
pas
plus grand que son maître. Si l'on m'a persécuté, on vous
persécutera, vous aussi. Si l'on a observé ma parole, on observera
aussi la vôtre. (Jean 15) » Ils
lui dirent :« Nous le pouvons. »
Ne sont-ils pas présomptueux ? Ils ne semblent pas avoir
compris que, par eux-mêmes, ils ne sont rien sans la force de
l'Esprit qui leur sera envoyé quand Jésus remontera vers le Père.
Jacques et Jean se situent ici au niveau terre à terre de leur
désir, de ce compagnonnage que leur offre Jésus, mais que viennent
les épreuves alors, quelle sera leur conduite ? A l'exception
de Jean tous
prennent la fuite au moment de la Passion, Jésus sait bien qu'Il
leur demande et leur demandera beaucoup , ici, les disciples sont
encore dans l'euphorie de
la rencontre
avec ce Maître incomparable, comme chacun de nous l'est aux moments
des grands événements qui jalonnent une vie: baptême, pour ceux
qui le reçoivent adultes, communion, confirmation, mariage, entrée
dans les ordres .. ; Mais que viennent les difficultés, les
trahisons de toutes sortes, comment réagissons-nous à ces moments
de doute ?
Et
Jésus développe Sa pensée :
« La
coupe que je vais boire, vous la boirez ;et vous serez baptisés
du baptême dans lequel je vais être plongé.Quant à siéger à ma
droite ou à ma gauche,ce n’est pas à moi de l’accorder ;
il y a ceux pour qui cela est préparé. » Il
ne les trompe pas ! Et le message passe puisque Jean, dans sa
première lettre deviendra capable d'écrire :
« Et
voici par quoi nous savons que nous le connaissons: si nous gardons
ses commandements. Celui qui dit le connaître et ne garde pas ses
commandements, est un menteur, et la vérité n'est point en lui.
Mais celui qui garde sa parole, c'est en lui véritablement que
l'amour de Dieu est parfait; par là nous connaissons que nous sommes
en lui. Celui qui dit demeurer en lui doit lui aussi marcher
comme il a marché lui-même. (1Jean 2)
Et
comment a-t-Il marché ce Jésus à qui plus jeunes, les fils du
tonnerre (Jacques et Jean) demandent une telle faveur ? Isaïe
nous en brosse un tableau difficile à imiter, et c'est à boire
cette coupe que Jésus les invite :
Broyé
par la souffrance, le Serviteur a plu au Seigneur. S’il remet sa
vie en sacrifice de réparation, il verra une descendance, il
prolongera ses jours : par lui, ce qui plaît au Seigneur
réussira. Par suite de ses tourments, il verra la lumière, la
connaissance le comblera.Le juste, mon serviteur, justifiera les
multitudes, il se chargera de leurs fautes.
Voilà
le chemin que les apôtres et, après eux, tout vrai disciple doit
emprunter pour être un véritable ami de Jésus ! Boire à « la
coupe de Jésus » c'est en premier lieu se laisser purifier par
l'amour d'un Dieu qui nous désire resplendissants de sainteté !
Or, la purification passe forcément par la souffrance , c'est Luc
qui écrit dans les Actes, à propos des difficultés rencontrées
par Paul et Barnabé :
Quand
ils eurent évangélisé cette ville ( Paul et Barnabé) et fait un
assez grand nombre de disciples, ils retournèrent à Lystres, à
Iconium et à Antioche, affermissant l'âme des disciples, les
exhortant à persévérer dans la foi et (disant) que c'est par
beaucoup de tribulations qu'il nous faut entrer dans le royaume de
Dieu. Après leur avoir établi des Anciens dans chaque église
par imposition des mains, après avoir prié et jeûné, ils les
recommandèrent au Seigneur, en qui ils avaient cru. (Actes 14)
C'est
aussi , avec Jésus, entrer dans la compassion en partageant et
portant la souffrance de nos frères en humanité, selon notre grâce
propre , car c'est cela alléger, avec Jésus, le fardeau de nos
frères !
Il
y a Jacques et Jean mais il y a les dix autres ! Ils ont entendu
la demande audacieuse de leurs frères , cela ne leur plaît pas du
tout : Les
dix autres, qui avaient entendu,se mirent à s’indigner contre
Jacques et Jean.
Au fond, ils ne sont pas meilleurs, au lieu de tenter de comprendre ,
d' éclairer leurs frères , ils laissent leur colère exprimer les
passions qui les troublent et Jésus n'a pas besoin de les interroger
pour discerner ce qui les habite, leur réaction les dévoile, Jésus
les appelle et enchaîne immédiatement
Jésus
les appela et
leur dit : « Vous le savez :ceux
que l’on regarde comme chefs des nations les commandent en
maîtres ;les
grands leur font sentir leur pouvoir.Parmi
vous, il ne doit pas en être ainsi.Celui
qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur.Celui
qui veut être
parmi vous le premier sera l’esclave de tous :car
le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi,mais pour
servir,et donner sa vie en rançon pour la multitude. »
Jésus
révèle aux dix qu'ils sont habités par d'autres passions pas plus
louables que celles de Jacques et de Jean. Dans l'ordre évangélique
pour « être grand, il faut être infiniment petit » et
Jésus sait parfaitement de quoi Il parle Lui «
qui
était dans la condition de Dieu,
il n'a pas jugé bon de revendiquer son droit d'être traité à
l'égal de Dieu ; mais
au contraire, il
se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur.
Devenu semblable aux hommes et reconnu comme un homme à son
comportement, il s'est abaissé lui-même en devenant obéissant
jusqu'à mourir, et à mourir sur une croix. C'est pourquoi Dieu l'a
élevé au-dessus de tout ; il lui a conféré le Nom qui surpasse
tous les noms, afin qu'au Nom de Jésus, aux cieux, sur terre et dans
l'abîme, tout être vivant tombe à genoux, et que toute langue
proclame : « Jésus Christ est le Seigneur », pour la gloire de
Dieu le Père. (Philippiens 2)
Lui,
Jésus, le Fils bien-aimé, l'égal
du Père s'est
fait infiniment petit pour s'approcher de l'humanité et lui
permettre de se laisser approcher, de se laisser aimer. Lui, Jésus,
l'égal du Père se
mettra à genoux aux pieds de Ses apôtres pour les leur laver ;
en précisant « c'est
un exemple que je vous donne »
ce qui laisse entendre qu'il leur revient d'en chercher et de trouver
bien d'autres façons humbles et désintéressées de se mettre au
service de leurs frères pour que ceux-ci comprennent que seul
l'Amour sauve le monde ! C'est aussi ce que souligne la seconde
lecture de notre liturgie :
« en
Jésus, le Fils de Dieu,nous avons le grand prêtre par
excellence,celui qui a traversé les cieux ;tenons donc
ferme l’affirmation de notre foi. En effet, nous n’avons pas un
grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses, mais un
grand prêtre éprouvé en toutes choses, à notre ressemblance,
excepté le péché. Avançons-nous donc avec assurance vers le Trône
de la grâce, pour obtenir miséricorde et recevoir, en temps voulu,
la grâce de son secours. »
Pour
s'approcher du Trône de la grâce, ou de la Gloire réclamée par
Jacques et Jean, il nous faut apprendre nous aussi à servir nos
frères avec Amour de façon désintéressée et en payer le prix !
« Père,
c'est à Toi que je m'adresse ce soir avec une confiance tranquille
et paisible. Ton Fils m'a appris que Tu étais mon Père... Je viens
donc simplement Te dire que je suis Ton enfant, et je Te le dis
sérieusement, et pourtant avec l’envie de rire et de chanter,
tellement c'est beau d’être Ton fils ;
mais, c'est aussi sérieux, car Tu m'as tellement aimé, et moi si
peu ! Père, fais de
moi ce que Tu veux. Ta
volonté, je le sais, elle est que je devienne semblable à ton
Unique, le frère aîné qui m'a appris ton Nom : que je marche
sur le même chemin. Je
n'ai point de force pour cela, mais j’ai la Tienne... Père, me
voici : travaille en moi, taille et coupe, je ne Te ferai jamais
l'injure d'avoir peur ou de croire que Tu m’oublies ; et si je
trouve la croix très lourde, je pourrai du moins Te répéter
inlassablement que je crois à ton Amour et que j’accepte Ta
volonté.je sais, Père, je n'ai jamais fini de Te faire de la
peine, mais Tu ne finiras jamais de me pardonner. Quant
à l'amour, je serai toujours battu ; non pourtant, car Tu me
donneras le Tien. Tu me donneras ton Amour, ton Fils en qui je
pourrai tout. Ainsi
soit-il. » P. Lyonnet prêtre Jésuite
et
la conclusion d'une autre prière du même prêtre :
Tu
ne pourras empêcher que partout où Tu m’enverras, joyeux et
désolé, malade ou bien portant, comblé ou humilié, l’Esprit en
moi ne clame vers Toi, véhément, appelant ton Amour impérieusement,
pour mes frères les hommes qui ne savent pas que Tu es Père. Ô
Père, voici ma vie, mais donne-moi mes frères, que je Te les rende.
Amen. »
N'avons-nous
pas là une belle conclusion pour la journée des missions ?
L'Ermite